Arrival vu par les traducteurs

Arrival vu par les traducteurs

Le langage est un outil d’une puissance inouïe : voilà ce qui se dégage d’Arrival. Dans ce nouveau film de science-fiction de Denis Villeneuve, une professeure de linguistique, Louise Banks, tente de décoder le langage d’extraterrestres ayant décidé de rendre une petite visite aux habitants de la Terre. Pour quelle raison? Personne ne le sait, mais Louise fait tout son possible pour répondre à cette question, sur laquelle repose toute l’intrigue.

Dès le début du film, Louise Banks ne peut qu’attirer la sympathie des traducteurs. Alors qu’elle enseigne tranquillement la linguistique à l’Université de Montréal, voilà que des extraterrestres débarquent et que l’armée lui rend visite pour lui demander d’interpréter un enregistrement du langage des visiteurs. La pauvre Louise, bien embêtée, essaie bon gré mal gré d’expliquer qu’elle ne peut pas comprendre une langue inconnue en deux minutes, à l’aide d’un simple enregistrement de 15 secondes. Par la suite, lorsqu’elle est finalement recrutée par l’armée pour traduire le langage extraterrestre, on ne cesse de lui reprocher la « lenteur » de son travail. Même si le contexte n’est pas comparable au quotidien des traducteurs (il s’agit tout de même d’une langue totalement inconnue parlée par de grosses pieuvres à sept tentacules), cet aspect du film met l’accent sur les difficultés de compréhension des défis posés par la traduction et sur la nécessité d’expliquer clairement pourquoi traduire prend du temps.

Outre la compassion que tout langagier ressentira envers le personnage principal, l’histoire aborde des questions linguistiques très intéressantes, comme le déchiffrage d’une langue inconnue. Louise, qui ne peut comprendre les sons émis par les extraterrestres, choisit de passer par la voie écrite en étudiant leurs signes. Grâce à une méthode et à des procédés ingénieux, elle décrypte, dissèque, analyse la structure de leur écriture, si bien qu’elle finit par s’immerger complètement dans une nouvelle façon de penser.

C’est alors qu’intervient une théorie du langage essentielle à la compréhension du long métrage : l’hypothèse Sapir-Whorf sur le relativisme linguistique, selon laquelle la structure d’une langue conditionne la manière dont on pense. Autrement dit, notre langue détermine notre culture et notre conception du monde, ce qui implique que les personnes qui apprennent d’autres langues et assimilent donc de nouvelles structures linguistiques sont amenées à voir les choses différemment. Ainsi, ce n’est qu’en intégrant profondément le fonctionnement du langage extraterrestre que Louise obtient enfin une réponse à la question qui intéresse particulièrement l’armée : what is your purpose on earth?

Les questions linguistiques abordées dans Arrival permettent de donner plus de profondeur au récit de science-fiction. Le long métrage tente de faire saisir au spectateur le rôle primordial du langage, et plus largement de la communication, dans l’histoire et l’avenir de l’humanité. Notre compréhension de l’autre, qu’il soit humain ou extraterrestre, repose sur notre capacité à intégrer sa langue dans notre subconscient, c’est-à-dire à créer un pont entre sa culture et la nôtre.

Alors, finalement, pour quelle raison ces extraterrestres ont-ils montré le bout de leurs tentacules? Pour le savoir, il faudra aller au cinéma! Nous ne voudrions pas gâcher le plaisir de ceux qui n’ont pas encore vu Arrival en dévoilant une trop grande part du mystère.

Pour conclure, certains pourront dire que le film manque de détails sur l’écriture extraterrestre, sur la façon dont Louise réussit à la déchiffrer, etc. Il est clair que ces personnes ratent l’essentiel. Ce qu’il faut vraiment retenir d’Arrival, c’est que les linguistes sont destinés à sauver le monde. Qui a dit que les langagiers étaient ennuyeux?

 

Par Charlotte Bournisien, traductrice chez Cartier et Lelarge