Tendance : la confine cuisine

Tendance : la confine cuisine

Par Ariane Lelarge Emiroglou

 

En ces temps de confinement, la cuisine n’est plus un simple passe-temps, mais une nécessité, matin, midi et soir. Alors que bon nombre de gens avaient l’habitude de manger plus de la moitié de leurs repas au restaurant il y a quelques mois, nous devons maintenant nous résoudre à passer plus de temps aux fourneaux, en faisant plus avec moins. Chez les personnes qui travaillent à temps plein, la cuisine peut être source de réconfort ou d’apaisement, mais elle peut également représenter un fardeau supplémentaire.

L’heure est à la créativité et à l’adaptation. On peut même récupérer certaines denrées qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser pour éviter le gaspillage.

Les premiers jours de panique à l’épicerie ont cédé la place à une meilleure organisation. Pour limiter les sorties dans les commerces, nous faisons des réserves, en privilégiant une variété d’aliments qui se conservent longtemps : céréales, légumineuses, conserves, noix (et chocolat!), mais aussi légumes racines (carottes, pommes de terre, courges, etc.), bulbes (oignons, ail, échalotes, etc.), ou encore agrumes. L’idéal est de conserver une alimentation équilibrée, qui peut contribuer à renforcer le système immunitaire, tout en se faisant plaisir. Ainsi, les plats en sauce, les mijotés et les soupes se conservent très bien au congélateur, tout comme le pain et les muffins, sans oublier le pot de crème glacée. L’une de nos traductrices avoue se sentir rassurée lorsque le frigo est bien rempli, sous peine de débordement : bien qu’elle passe un peu trop de temps à chercher la moutarde cachée derrière le plat de la veille, cette abondance lui confirme qu’elle ne manquera de rien et qu’elle aura toujours le choix de se concocter des recettes selon ses envies.

Les réserves ont beau être pratiques, voire nécessaires, leur accumulation entraîne inévitablement la perte de certains aliments, qui finissent oubliés dans le fond du garde-manger ou écrasés sous des tupperwares abandonnés. L’astuce est de les transformer : des tomates flétries en sauce tomate, une laitue fatiguée en pesto ou en soupe, des pommes ramollies en compote ou en croustade. L’heure est à la créativité et à l’adaptation. On peut même récupérer certaines denrées qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser pour éviter le gaspillage : les épluchures peuvent devenir d’excellentes chips santé, la carcasse de poulet peut infuser un bouillon, et la croute de parmesan peut parfumer une soupe de type minestrone.

La prolifération des dossiers de « recettes de confinement » et des vidéos en ligne confirme notre attrait collectif pour la popote.

À la cuisine zéro gaspillage, les plus aventureux pourront également ajouter de nouvelles techniques : fermentation (kimchi, yogourt maison, kvas de betterave), confection de pâtes fraîches, fabrication de pains de tout genre (brioché, au levain, sans gluten, etc.), braisé à la cocotte… les possibilités sont quasi infinies. Et ces « recettes-projets » semblent prendre de plus en plus de place dans le quotidien des gens, en particulier de ceux qui ont le temps; le temps de regarder leur pâte à pain gonfler; le temps d’assembler des vingtaines de dumplings comme un casse-tête géant; le temps de ralentir et de savourer la satisfaction d’avoir créé soi-même de petites merveilles dont la confection semblait jusqu’ici réservée aux experts.

Ainsi, la recette de bagels de Bob le Chef a suscité un tel engouement que son site Web est temporairement tombé en panne. La prolifération des dossiers de « recettes de confinement » et des vidéos en ligne, comme celles que Ricardo enregistre lui-même dans sa cuisine et qui génèrent tous les jours des milliers de vues, confirme notre attrait collectif pour la popote. Sans parler des nombreuses recettes virales dont on voit défiler les photos sur le net, telles que le très instagrammable café Dalgona, et la fameuse miche de pain, qui a déclenché une véritable « paindémie » aux quatre coins de la planète et, au Québec, une pénurie de levure et de farine dans les épiceries.

En ces temps confinés, où nous avançons à tâtons vers un avenir incertain, la cuisine s’apparente à une bulle réconfortante et protectrice, que chacun adapte à sa sauce.

Cela dit, pour bien des gens, la cuisine demeure un plaisir réconfortant et convivial, qui donne souvent du baume au cœur après une longue journée de travail (ou d’appels FaceTime) devant un écran. Pour se vider la tête et atténuer son stress, il n’y a rien de tel que de fouetter des œufs et de piler des patates. Et comme les voyages demeurent impossibles, c’est aussi l’occasion de s’évader par les sens : palak paneer, tagine, enchiladas, pho… toutes ces recettes venues d’ailleurs peuvent nous dépayser un bref instant, ou du moins, faire voyager nos papilles. Les parents peuvent en profiter pour initier leur progéniture à un éventail de nouvelles saveurs, tout en les faisant participer à la préparation des repas, transformant ainsi la cuisine en un véritable laboratoire d’apprentissage et de découvertes. L’un de nos collègues, père de quatre filles, va même jusqu’à organiser des repas thématiques en ligne avec deux autres familles, où tout le monde se retrouve pour trinquer, chanter et passer un bon moment ensemble à distance.

En ces temps confinés, où nous avançons à tâtons vers un avenir incertain, la cuisine s’apparente à une bulle réconfortante et protectrice, que chacun adapte à sa sauce. Et elle a beau avoir un effet thérapeutique, elle n’a pas toujours à être productive. Parfois, tout ce dont on a besoin, c’est d’un simple bol de céréales ou d’une pizza fraîchement décongelée. À la bonne franquette.